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Photo by Tai's Captures on Unsplash

Depuis le vote de la loi n°08/2020 habilitant le président de la république dans un délai de trois mois à proroger l'état d'urgence, le Sénégal s’est installé pour une longue période dans un régime dérogatoire aux libertés publiques.

L’état d’urgence créé sur la base de la loi n° 69-29 du 29 avril 1969, vieille de 51 ans, à une époque où l’internet n’existait pas, pourrait faire croire qu’elle ne contiendrait pas de dispositions susceptibles de remettre en cause les droits humains en ligne.

Cependant, la rédaction de certains articles de cette loi étant suffisamment large et les définitions vagues de certains termes font que la mise en œuvre des articles 6, 10 et 12 présente le risque sérieux de conséquences invasives néfastes sur les droits numériques au Sénégal, en sus des lois votées depuis 2016.

Pire encore, le contrôle juridictionnel est limité car il n’intervient qu’à posteriori. Même le référé d’urgence est d’une efficacité limitée en raison de la rapidité des procédures administratives en cause car les décisions du juge interviennent bien après les violations des droits et libertés.

Ainsi donc, l’état d’urgence est une période propice aux atteintes aux droits humains en ligne et hors ligne. Pour preuve, dès le lendemain de l'instauration de l'état d'urgence, des témoignages vidéo des abus et des dérives policières étaient publiés sur les réseaux sociaux par des citoyens.

Cependant, il est à noter qu’une totale opacité est entretenue par le gouvernement sur l'impact de l'état d'urgence sur la société sénégalaise. En effet, aucun bilan chiffré de l’état d’urgence n’est publiée ni par la police ni par la gendarmerie.

A ce jour, il n'existe pas au Sénégal un canal officiel de diffusion régulière d'indicateurs actualisés sur les effets de l'état d'urgence, accessible au public.

Enfin, le contrôle parlementaire, un élément de la légitimité de cette période d’exception n'a jamais été évoqué par les députés encore moins la mise en place par l’assemblée nationale du Sénégal d'une commission de contrôle et d’évaluation des mesures relevant de l’état d’urgence.

Au vu de tous ces éléments, ce régime d’exception suscite légitimement des inquiétudes et des préoccupations sur les droits humains en ligne et hors ligne au Sénégal.

Aussi, la société civile ne doit pas par son silence, encourager l’État dans sa logique de mise en œuvre de l’état d’urgence dans une opacité totale sur ses effets sur la vie des sénégalais et lui laisser la latitude d’utiliser la période actuelle comme laboratoire d’expérimentation en vue d’une généralisation de mesures largement attentatoires aux droits et libertés, voire permettre la pérennisation subreptice de l’état d’urgence.

La vigilance doit donc être de mise car dans un Etat de droit la mise en œuvre d’un régime d’exception attentatoire aux libertés, nécessite un contrôle démocratique.

Ainsi, pour combler les failles du contrôle politique et démocratique de l’assemblée nationale du Sénégal, les limites du contrôle juridictionnel, ASUTIC met en place un observatoire citoyen de l’état d’urgence.

L’objectif est, d’abord, de faire l’inventaire des dérives, des dérapages et erreurs de ce dispositif qui place le Sénégal hors du droit commun, ensuite, procéder à l’analyse des données afin d’en avoir une vue globale qui puisse permettre d’informer le public sur la réalité de l’état d’urgence, tirer des enseignements et enfin faire des recommandations ayant vocation de garantir le respect des libertés et­ droits fondamentaux en ligne et hors ligne. ­

En outre, l’Observatoire citoyen permettra de s’assurer du respect par le Gouvernement du Sénégal de ses engagements internationaux en matière de droits humains en ligne.

L’observatoire n’a pas pour vocation de s'interroger sur l'opportunité de ces mesures, mais, de déterminer l’impact de l’application de l’état d’urgence sur les droits numériques.

En l’absence d’informations officielles publiées par les autorités, ASUTIC entend recenser les éventuelles violations des droits humains en ligne publiées par la presse mais surtout en faisant appel aux citoyens.

Nous aurons une responsabilité collective si nous, les citoyens, ne contrôlons pas la mise en œuvre des mesures de l’état d’urgence et d’évaluer les éventuelles violations des droits et libertés qui pourraient en résulter.

Avec ce régime d’exception en cours actuellement au Sénégal, l’Etat de droit est plus que jamais une impérieuse obligation démocratique contre l’autoritarisme.

Aussi, nous appelons au contrôle et à la vigilance citoyenne, partagez avec nous vos témoignages sur les abus et dérapages à l’adresse : infos@asutic.org.

L’Association des Utilisateurs des TIC rappelle au gouvernement du Sénégal­ :

  • Le caractère nécessairement provisoire de ce régime d’exception attentatoire aux droits et libertés fondamentaux, Il importe donc d’en sortir le plus rapidement possible­;
  • Son obligation de rendre compte voudrait qu’il soit transparent et clarifie sa communication sur les effets des mesures en les rendant accessible à tous­;
  • L’urgence d’une loi sur le droit d’accès à l’information au Sénégal malgré la consécration du droit à l’information plurielle par la Constitution.

Fait à Dakar, le 14/06/2020