APC considère la désinformation comme une question complexe, aux multiples facettes, présente à l’échelle mondiale ; elle doit de ce fait être comprise comme le symptôme de troubles de l’information bien plus larges. La désinformation est source de confusion, elle restreint la liberté d’expression et d’information et a un impact direct sur le niveau de confiance dans la sphère publique en tant qu’espace de délibération démocratique. Les gens ne se sentent plus en sécurité pour exprimer leurs idées par peur de harcèlement en ligne et ne souhaitent pas risquer de devenir la cible de campagnes de désinformation. D’autres se sentent paralysés et préfèrent se taire ; ces personnes se sentent désorientées, dans l’incertitude face à la pollution environnante de l’information, et en viennent à se retirer du débat public sur des questions importantes d’intérêt public.
L’impact de la désinformation s’avère particulièrement néfaste pour les groupes en situation de vulnérabilité ou de marginalisation. APC a observé combien les campagnes axées sur des problèmes historiques se montrent particulièrement convaincantes en matière de désinformation genrée, voire de haine à l’encontre des minorités, des groupes vulnérables et des activistes qui défendent l’environnement et les droits humains. Ces campagnes suivent différents formats et récits, ce qui leur permet de s’adapter aux histoires et événements et de soulever l’intérêt des médias.
L’utilisation de la désinformation dans les espaces publics comme une arme contre les femmes a longtemps été signalée comme une forme de violence de genre en ligne. Il est toutefois important de reconnaître cette pratique comme un phénomène spécifique. La désinformation genrée est un sous-ensemble parmi les différentes violences de genre en ligne qui présente des récits faux ou trompeurs fondés sur le genre et le sexe contre les femmes, visant à les dissuader de participer à la sphère publique. Elle associe trois caractéristiques déterminantes de la désinformation en ligne : le mensonge, l’intention malveillante et la coordination.
La désinformation genrée concerne non seulement les femmes, mais également les luttes féministes et le discours genré. Dans la pratique, elle est utilisée pour réduire les femmes au silence, les pousser à l’autocensure et réduire leur espace civique.
La situation est encore plus frappante du point de vue de l’intersectionnalité. Les dirigeantes politiques et les femmes activistes issues de groupes raciaux, ethniques, religieux ou d’autres groupes minoritaires font l’objet de désinformation bien plus souvent que leurs collègues blanches.
Qu’avons-nous accompli jusqu’à présent ?
APC a mené plusieurs actions publiques sur les politiques en la matière, attirant l’attention sur le fait que les campagnes de désinformation prennent de plus en plus pour cible les femmes, les personnes de diverses identités de genre, les groupes marginalisés, les activistes des droits humains et les activistes de l’environnement. APC est particulièrement préoccupé par les campagnes de désinformation dans les luttes féministes et les discours sur le genre qui visent à réduire les femmes au silence, les pousser à l’autocensure et réduire leur espace public. Ces campagnes attaquent directement certains types de femmes et à travers elles, la justice de genre.
En juin 2021, en réponse à l’appel d’Irene Khan, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, APC a soumis une contribution au rapport thématique qu’elle a présenté lors de la 76è session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Dans sa contribution, APC examinait les répercussions de la désinformation genrée sur la participation publique des femmes, leur activisme et leur travail, apportant une réflexion sur les principaux obstacles, défis et menaces qui donnent lieu à une restriction de l’expression et un effet dissuasif sur un large éventail de droits, y compris les droits sexuels, le droit de participer dans les affaires publiques et le droit de ne pas faire l’objet de discriminations. La contribution portait également sur le rôle des gouvernements et des plateformes de médias sociaux, formulant des recommandations axées sur l’adoption d’une approche intégrale de la désinformation genrée en tant que problème lié à la violence de genre en ligne, mais différent de celle-ci.
Le 21 octobre 2021, APC a organisé une conversation avec la Rapporteuse spéciale Irene Khan en marge de la 76è session de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a marqué la présentation officielle du rapport sur la liberté d’expression et la justice de genre de la Rapporteuse spéciale à l’Assemblée générale. Ce rapport était le premier en 27 ans d’histoire du mandat à porter exclusivement sur les défis auxquels les femmes sont confrontées dans l’exercice de leur liberté d’opinion et d’expression hors ligne et en ligne.
APC a salué le rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté d’expression présenté à la 47è session du Conseil des droits de l’Homme, dans lequel elle reconnaît notamment la désinformation genrée en ligne et elle émet des recommandations aux États et aux entreprises pour affronter cette situation et accorder une attention particulière à ses conséquences dans le monde réel. La Rapporteuse spéciale reconnaît, tel qu’indiqué dans la contribution d’APC à ce rapport, que l’impact nocif de la désinformation à motivation politique s’est fait sentir au sein des institutions démocratiques de nombreux pays, avec pour conséquence de miner la liberté d’expression, réduire le niveau de confiance en la sphère publique en tant qu’espace de délibération démocratique, amplifier les récits anti-démocratiques, alimenter la polarisation et encourager des programmes autoritaires et populistes.
Les campagnes de désinformation, indique le rapport, sont de plus en plus utilisées pour dissuader les femmes de participer à la sphère publique, associant « de vieilles attitudes sexistes enracinées avec l’anonymat et la portée des médias sociaux dans le but de détruire la réputation des femmes et les pousser hors de la vie publique. » S’appuyant sur une contribution du membre d’APC Media Matters for Democracy (MmfD) et des cas tels que celui de la journaliste Maria Ressa aux Philippines, le rapport souligne que les femmes journalistes, de la même manière que les femmes politiques et les défenseur·e·s du genre qui s’expriment sur les questions féministes, sont particulièrement ciblé·e·s par les campagnes de désinformation.
APC a également mené une campagne à l’occasion de la Journée internationale de la femme de 2022 afin de sensibiliser à la question de la désinformation genrée et d’évaluer les solutions dans un contexte de désinformation croissante, campagne à laquelle se sont joints des membres du réseau, d’autres organisations et personnes intéressées par cette question. La campagne s’articulait autour de cinq questions, sous le hashtag #GenderedDisinformation : Quelles idées fausses et quelles infox entendons-nous souvent lors de la Journée internationale de la femme ? Qu’est-ce que l’infox ? Qui est le plus touché par la désinformation ? Comment pouvons-nous lutter contre la désinformation genrée ? En quoi la désinformation est-elle importante pour l’égalité de genre ?
En mai 2022, l’UNESCO et la République d’Uruguay ont accueilli la conférence mondiale annuelle de la Journée mondiale de la liberté de la presse sous le thème « Le journalisme sous l’emprise du numérique », où il a été question de l’impact de l’ère numérique sur la liberté d’expression, la sécurité des journalistes, la vie privée et l’accès à l’information. Dans le cadre de cette initiative, APC et la Rapporteuse spéciale Irene Khan ont co-organisé une session le 3 mai axée sur un aspect fondamental de la désinformation : sa composante genrée, qui a permis de mettre en avant des exemples spécifiques de la manière dont fonctionne ce type de désinformation et de proposer des réponses possibles pour y faire face.
En 2023, dans le cadre du 30è anniversaire de la Journée mondiale de la liberté de la presse, APC a organisé avec le Fonds des Nations Unies pour la population, ONU Femmes et le Partenariat mondial pour l’action contre le harcèlement et les abus en ligne fondés sur le genre, un événement parallèle conjoint intitulé « Liberté d’expression et justice de genre », lors duquel quatre rapporteurs internationaux sur la liberté d’expression – des Nations Unies, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, de la Commission africaine sur les droits de l’homme et des peuples et de la Commission inter-américaine des droits de l’homme – ont discuté les recommandations de la Déclaration conjointe de 2022 sur la liberté d’expression et la justice de genre ainsi que les conclusions concertées de la 67è session de la Commission de la condition de la femme (CSW).
APC a également organisé des événements sur ce thème au RightsCon et au Forum sur la gouvernance de l’internet. En partenariat avec la Rapporteuse spéciale et plusieurs membres d’APC (Foundation for Media Alternatives, Media Matters for Democracy, EngageMedia, SMEX et TEDIC) et le partenariat d’IFEX, APC a co-organisé quatre consultations régionales en Afrique, en Asie, en Amérique latine et Caraïbes et dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Une consultation supplémentaire à Genève, en marge de la session du Conseil des droits de l’homme, a réuni une centaine d’activistes. APC a également organisé une réunion régionale pour promouvoir le renforcement des capacités dans le domaine de la désinformation genrée, qui a eu lieu à Bangkok en septembre 2023 dans le cadre de l’initiative Safety for Voices.
De plus, APC a proposé un événement parallèle à la 78è session de l’Assemblée générale des Nations Unies, à l’occasion de la présentation officielle du rapport de la Rapporteuse spéciale à l’Assemblée générale.
Quelle est la prochaine étape ?
S’inspirant du travail déjà entrepris en matière de désinformation et de désinformation genrée, APC estime fondamental de continuer à axer notre travail sur l’impact de la désinformation sur les femmes et les personnes de diverses identités de genre.